8 février 2013

Curlies au long cours 5 (et fin !)

Les derniers 913 km

Nous avions convenu que Vincent viendrait me prendre à l'hôtel à 4h30. Il se pointe finalement à 5h. Parcours inverse, à la même vitesse folle, sauf que cette fois, il fait nuit et qu'il y a du brouillard...

Arrivée à son écurie, je fais la connaissance de Pauli, un bonhomme plutôt sympathique et bedonnant, la soixantaine bien sonnée, et j'apprends qu'il sera notre chauffeur. J'espère qu'il conduit plus prudemment et tout en douceur...

Les juments ont l'air d'avoir passé une bonne nuit. Elles ont tout mangé, bien bu et, d'après les brins de paille sur leur dos, elles se sont couchées pour dormir. Tant mieux, la partie la plus pénible du voyage s'annonce...

Pendant que les hommes lambinent, un café à la main, je fais le tour du camion et de la remorque, vérifie les attaches, les pneus... Il n'y a toujours ni litière ni foin, toujours aussi sale, bref, tout est tel qu'abandonné la veille. Sachant que nous avons entre dix et douze heures de route,  je commence à m'interroger sérieusement et, pour paraphraser Scapin : «mais que diable allais-je donc faire dans cette galère ?»

Je demande à Vincent s'il a prévu des filets à foin. Comme j'ai l'air décidé, il m'en désigne, tout en me faisant remarquer que je les remplis trop à son goût. Pourtant, celui qu'il prépare pour son cheval de course (et oui, il sera encore du voyage celui-là, le pauvre aura même quatre heures de plus à faire, puisqu'il s'en va à Nice) est bien dodu... Il allait donc en mettre à son cheval et pas aux juments. Je n'ose imaginer comment ça se passe quand le propriétaire ne voyage pas avec ses chevaux...

Je demande aussi si on peut déplacer la barre d'appui au niveau du poitrail, car elles sont beaucoup trop hautes, donc dangereuses. Je crois qu'il commence à me trouver pénible !

Vient enfin le moment de faire monter les chevaux. D'abord le cheval de course, dans le camion avec Rosie. Les deux montent sans faire de difficulté. Il y a de la résignation dans l'oeil du Pur-Sang et un certain agacement dans celui de Rosie, mais elle est bonne pâte.

Puis, il approche Chumani de la remorque. Elle s'arrête et veut prendre un moment de réflexion avant de s'avancer vers «l'ogre puant», elle a droit une solide secousse de longe ! Si mon regard pouvait lancer des couteaux, Vincent serait tombé raide mort. Un tel manque de connaissances élémentaires des chevaux et de la lecture de leur langage corporel me sidère totalement, encore une fois. Car il s'agit d'un bonhomme qui a passé sa vie auprès des chevaux ! Ne pas voir que cette pouliche de 18 mois ne demande qu'un instant de réflexion pour évaluer la situation et voir si elle peut faire confiance à l'humain qui la tient, c'est non seulement de l’incompétence, mais aussi de l'imbécilité.

Ensuite, Vincent se met à tirer fortement sur la longe, évidemment, Chumani se braque. J'interviens immédiatement, je lui prend la longe des mains, caresse la pouliche, l'emmène faire quelques pas la longe longue, puis je la rapproche de la remorque, toujours la longe détendue. Elle m'accompagne jusqu'au bord. Je la laisse flairer, puis je l'emmène à Pauli - celui dont l'énergie est la plus calme - en lui demandant de la tenir le temps que je fasse monter Nymph. Heureusement, Nymph embarque facile, bien qu'en plissant le nez. Je reprends Chumani qui me suit avec qu'une seconde d'hésitation au moment d'embarquer et s'installe auprès de sa maman de substitution. J'espère que mon exemple fera un tout petit bout de chemin dans l'esprit de ces rustauds... bien que, tristement, j'en doute, car j'ai droit à un commentaire sur le fait que Chumani est «têtue» ! Bien sûr qu'elle est têtue, c'est aussi un bébé qui est drôlement plus sensible et intelligent que la gente masculine qui l'entoure. C'est vrai qu'elle a de la personnalité et qu'il ne faut surtout pas la braquer. Mais la violence n'est jamais la solution. Jamais. Surtout que si les Curlies savent être des océans de tendresse, contrairement à d'autres races de chevaux, au-lieu de se soumettre à la violence, il y a de forts risques qu'ils ripostent, leur sang de mustang étant encore très présent.

Avant de fermer les portes, je vérifie les attaches des juments. Pour Rosie, tout va bien, le design du camion fait qu'elle pourra voyager à peu près confortablement. Dans la remorque, les attaches sont tellement courtes que les cocottes ne parviennent même pas à toucher le filet à foin ! Si j'avais des doutes sur la mesquinerie de Vincent, je n'en ai plus aucun. Il est définitivement sur ma liste noire. Il allait faire voyager deux chevaux, durant douze heures dans une remorque bringuebalante, la tête attachée en l'air avec trente centimètres de corde.

Finalement, nous prenons la route à 6h20, une heure plus tard que prévu à l'horaire, mais ça n'a pas d'importance. Pauli est un passionné de courses, il adore les chevaux me dit-il. Il parle et raconte beaucoup, je ne comprends pas toujours tout, mais il est sympathique et il ne conduit pas comme un fou. Il me donne une idée de l'itinéraire. C'est jour de départ en vacances et il y a beaucoup de bouchons à prévoir. Mais il me dit qu'il a prévu son coup, planifié les routes à prendre, etc. Cela fait des années qui se promène sur les routes d'Europe. Tant mieux.

Nous passons par Lille, contournons Rheims et Troyes, toujours sous la pluie et dans le brouillard. La morne Marne n'est pas très attirante sous cette grisaille. Avec une certaine émotion, je lis sur les panneaux des lieux que je ne connaissais que par mes lectures ou mes cours d'histoire, comme le Chemin des Dames... Nous passons près de Colombey-les-Deux-Églises, le coup d'oeil depuis l'autoroute est très semblable aux nombreux clichés que j'ai déjà vus; j'ai un salut muet pour le Général de Gaulle.

Il pleut ou bruine toujours. Des bancs de brouillard, de la brume et, partout, des inondations. Les rivières sortent de leurs lits, des piquets de clôtures émergent de champs inondés. À la radio et sur l'écran du GPS, les bouchons de circulation sont signalés et se désagrègent au fur et à mesure que nous les approchons, j'en suis ravie. Car Pauli a beau être sympathique, à part sa conduite plus appropriée, il ne porte aucun intérêt aux chevaux. Nous ne ferons que quelques arrêts-pipi et jamais Pauli n'ira vérifier ni les véhicule ni les chevaux. C'est moi qui le fais alors qu'il soulage sa vessie... ce qui me permet de découvrir que Nymph a fait tomber sa barre d'appui que je remets tant bien que mal, car elle ne tient qu'avec un bout de ficelle. Soupir...

J'emprunte le téléphone de Pauli pour appeler Benoît, le nouveau papa des cocottes, qui nous attend patiemment en m'assurant qu'il fait très beau chez lui, ce qui me fait plutôt plaisir, car je suis lasse de toute cette brouillasse.

Nous arrivons à Lyon qu'il nous faut traverser. La circulation est dense, mais ça roule. Le Rhône déborde ici aussi et il est plutôt impressionnant. Mais je suis contente de le voir, car je sais qu'il annonce que nous approchons du but. Il nous reste qu'à le suivre durant deux heures et nous devrions arriver. Deux heures plus tard, il fait toujours aussi gris, avec un crachin désespérant. Je commence à douter de trouver du soleil chez Benoît et Pauli en fait même des blagues. Mais, cinq kilomètres avant notre sortie, le ciel se dégage et le soleil guigne au travers de nuages qui se font de plus en plus rares.

Encore quelques kilomètres de ronds-points (pauvres chevaux) et de routes de campagne serpentant entre vignes et lavandin, et nous voilà arrivés à Chantemerle-lès-Grignan, en Drôme Provençale, avec l'impression d'avoir changé de pays : il fait beau, l'air est doux, nous pouvons enfin descendre les cocottes et les installer dans leur nouveau pré où l'herbe est VERTE, un abreuvoir rempli d'eau fraîche les attend, ainsi qu'un magnifique abri. Pauli a repris la route pour Nice, avec le pauvre Pur-Sang esseulé; il n'avait pas apprécié voir descendre sa compagne de voyage et il lui a lancé des adieux déchirants et moi, je me détends enfin de voir mes cocottes si bien accueillies et installées.


Une herbe aussi verte, cela faisait quelques mois que Nymph n'en avait dégusté !


Et après quelques jours magnifiques à profiter de l'accueil chaleureux et généreux de mon hôte et de sa famille; après d'excellents repas partagés avec des personnes cultivées, drôles, charmantes; après quelques visites touristiques et de découvertes de vieilles pierres fascinantes, vint le temps des au revoir...




Au revoir ma beauté, te quitter est un déchirement. Nous avons une telle complicité, tu as redonné confiance à tellement de gens, accueilli tellement d'enfants et de handicapés sur ton dos généreux, tu es une chamane, un océan d'amour et de patience pour les humains. Je sais que tu es dans une bonne maison et que tu as de nouvelles âmes à guérir... mais tu me manques. Je te cherche des yeux chaque fois que j'entre dans le parc et chaque fois je me souviens que tu n'es plus sur le même continent et mon coeur chavire...





Au revoir princesse des bouclettes ! Amuse-toi bien et enseigne aux humains la patience et la réflexion, mais essaie de ne pas les faire tourner en bourrique trop souvent, car tu sais être coquine !




Au revoir belle Rosie ! J'ai été ravie de faire ta connaissance. J'espère que tu auras un magnifique poulain qui deviendra un compagnon de jeu pour Chumani !





Au revoir les filles, soyez heureuses et que ce bonheur soit contagieux !

Car ce n'est qu'un au revoir.
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4 commentaires :

  1. Je n'aime décidément pas les adieux... Que ce soit en vrai ou en lecture...Les larmes aux yeux...

    Quel périple mais tout est bien qui finit bien ! :)

    Vous me manquez !

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  2. Ouf ! Enfin rendu à destination ! Un petit pincement à la lecture des adieux ! Mais quelle belle destination. Elles y seront heureuses les cocottes. Camille

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  3. Ca fait drôle de lire dans vos récits des coin Français ! Lyon, 1h de chez moi, vous n'êtes pas passées loin !
    Ces petites poulettes sont vraiment très belles, les voila enfin bien arrivée, un long voyage bien merité, une nouvelle aventure commence pour elles ... :)

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  4. Belle histoire! Que de patience et de retenue ce périple t'a demandé! ouf! Et avec les photos je viens de réalisé que la maman de KatMae est partie au loin...Marie-Josée B.

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